PRENDRE EN COMPTE : LA DOULEUR CHEZ LES BOVINS
Bien évaluer la souffrance d'un bovin est indispensable car elle provoque systématiquement une dégradation des performances zootechniques. Les anti-inflammatoires non stéroïdiens limitent cette baisse tout en soulageant l'animal.
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ÉTUDIÉE DEPUIS UNE TRENTAINE D'ANNÉES, LA PRISE EN COMPTE DE LA DOULEUR en élevage bovin est très récente. Son approche est longtemps restée théorique avant de rejoindre le vaste débat autour du bien-être animal. Un éleveur a intérêt à être attentif au plus petit signe lui indiquant la souffrance de l'un de ses animaux. Car la moindre douleur entraîne systématiquement une baisse des performances zootechniques. Indirectement, elle a donc des conséquences économiques négatives sur son élevage.
Respecter la réglementation en cours
Si les éleveurs et les vétérinaires ne souhaitent pas s'en préoccuper, la réglementation s'y intéresse de près. Face aux citoyens soucieux des conditions de vie des animaux de rente, elle devient de plus en plus restrictive. Alors que pendant longtemps la castration des porcelets à la naissance n'a soulevé aucune polémique, l'Union européenne compte l'interdire dès 2018. Face à cela, il n'y a qu'un pas pour que l'écornage des veaux soit lui aussi remis en cause.
« Je ne pense pas qu'il sera interdit en Europe, analyse Christian Guidarini, responsable technique et développement chez Boehringer Ingelheim. Parmi les mutilations, c'est l'une des plus acceptées par la société. La castration peut quant à elle être évitée. » Malgré tout, certains États européens ont voté des lois pour aller plus loin que la réglementation européenne.
Cette dernière stipule que, jusqu'à quatre semaines, l'écornage est toléré sans emploi d'un anesthésique. Au-delà, elle indique qu'une prise en charge de la douleur est obligatoire mais sans en préciser davantage. La Suisse et le Danemark ont pris les devants et obligent l'emploi d'anesthésique. Même chose outre-Atlantique. Le Canada, qui ne se souciait pas de l'écornage, a durci sa réglementation face à la pression des consommateurs.
Des labels imposent dorénavant la prise en compte de la souffrance animale dans son cahier des charges.
Comprendre le comportement du bovin
Chez les bovins, appréhender la douleur n'est pas évident. Face à leur statut de proie et leur incapacité à se défendre en s'échappant en cas de danger, ils adoptent deux comportements différents. D'une part, cet animal social, qui vit en groupe, se protège en se cachant parmi les autres. D'autre part, il va chercher à ne pas montrer sa faiblesse. « Plusieurs études démontrent que le bovin cherche à cacher sa souffrance. Cette dissimulation est d'autant plus importante que l'homme lui est étranger. » Pourtant, même si elle n'est pas visible, la douleur est bien réelle. Le bovin fait en effet partie des mammifères supérieurs. Et, à ce titre, il possède un système nerveux qui génère de la douleur.
Plusieurs analogies peuvent d'ailleurs être faites avec l'homme. La douleur se transmet à l'aide de neurotransmetteurs, de la zone douloureuse vers la moelle épinière jusqu'au cerveau. Chez les bovins, il n'existe pas d'outils pour évaluer la souffrance ni son intensité. Les signes du bovin étant très ambigus, aucune échelle n'a jamais pu être validée.
Identifier les baisses de performances zootechniques
Une boiterie, même la plus légère, fait baisser la production laitière d'au moins 5 %. Castrer un broutard à l'âge de quatre à cinq mois va entraîner une baisse du GMQ de 900 g/j durant une semaine. Concernant l'écornage, aucune étude n'a permis de quantifier son impact. Malgré tout, des différences ont été observées après une telle mutilation : diminution de la prise d'aliment, modification du comportement avec les autres animaux ainsi qu'avec l'homme. « Il ne faut pas confondre la gravité des symptômes et celle de la douleur. » Exemple : la souffrance d'une vache couchée en état de choc à la suite d'une mammite colibacillaire peut être moins importante que chez une autre, touchée par une infection mammaire ayant pour origine un streptocoque ou un staphylocoque, et dont l'un des quartiers est douloureux.
« Dans ce second cas, l'animal souffre davantage sans que son état général ne montre des signes d'inquiétude. » Le fait de constater une baisse de performances atteste que l'animal souffre mais c'est un signe très tardif.
Traquer le moindre signe de souffrance
L'éleveur est le mieux placé pour surveiller ses animaux. « Il ne doit pas se positionner comme un exécutant mais comme un observateur à l'oeil attentif. » Surveiller en cachette, à l'insu de l'animal, peut aider à repérer. L'observation d'une modification du comportement peut alerter de la souffrance de l'animal. Exemple : à l'arrêt, le bovin courbe le dos, croise ses membres antérieurs ou écarte ses postérieurs. Ou alors, il reste longtemps en position debout ou couchée. L'isolement des autres membres du groupe peut aussi être un signe. Les boiteries entraînent systématiquement de la souffrance, mais à un degré plus ou moins important. Son intensité peut être évaluée en observant le comportement : suppression d'appui, balancement irrégulier de la tête en marchant… Une origine douloureuse peut aussi être suspectée si l'animal ne mange pas, ne boit pas ou ne bouse pas normalement. Les grincements de dents, les meuglements peuvent manifester une plainte. La souffrance est systématique dès lors qu'il y a inflammations ou lésions. Les mouvements de replis face à une stimulation à la suite d'une palpation sont là encore des signes. Les lésions mammaires sont à l'évidence douloureuses.
Utiliser des anti-inflammatoires non stéroïdiens
L'emploi d'anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) est l'outil de base pour l'éleveur. Ils bloquent la sensibilité à la douleur et lutte contre l'inflammation. « Cette classe thérapeutique est accessible sous prescription vétérinaire et présente une sécurité d'emploi. Elle est très efficace à un faible prix. Le rapport coût/bénéfice est donc très élevé. » Leur utilisation, lors de la castration, évite les pertes de GMQ. Si sa douleur n'est pas prise en compte, un broutard castré va perdre 80 g/j durant trois mois, soit un total de 7 kg. « Cette baisse de croissance peut être évitée grâce à un AINS. Pourtant, leur emploi est rare sur le terrain. » Idem pour l'écornage des petits veaux. Un AINS évite les changements de comportement (baisse d'appétit, isolement…) « Les éleveurs utilisent davantage un sédatif pour tranquilliser l'animal au moment de l'écornage mais il n'a aucun impact sur la douleur. » Même lors de diarrhées chez les veaux, il est conseillé de prendre en compte sa souffrance. L'emploi d'un AINS va lui permettre de reprendre plus rapidement l'appétit. Toutes les boiteries nécessitent l'emploi de cette classe thérapeutique. « Beaucoup d'éleveurs utilisent un antibiotique mais, en réalité, seules les vaches souffrant d'un panaris sont à soigner de cette manière. » Des études prouvent qu'un vêlage difficile peut être aussi douloureux, sinon plus intense qu'une césarienne. L'emploi d'une thérapie analgésique est vivement conseillé. Elle permettra un meilleur démarrage en lactation, une meilleure involution utérine et favorisera l'ingestion. L'emploi d'un AINS lors de mammites avec des quartiers durs est aussi recommandé. La guérison sera plus rapide, la perte en lait moindre et l'approche en salle de traite plus facile.
Définir une stratégie avec son vétérinaire
Lors du bilan sanitaire annuel, il est conseillé à l'éleveur d'engager une discussion avec son vétérinaire sur la manière de prendre en compte la souffrance animale dans son élevage. Parfois, elle peut être évitée. La réglementation a ainsi interdit le marquage au fer rouge des bovins. Le réglage des logettes participe au bienêtre de l'animal et évite l'inflammation des articulations. En changeant de pratique, l'intensité de la douleur peut être réduite. « L'écornage thermique fera moins souffrir que l'utilisation d'une pâte caustique », déclare Christian Guidarini, Lors de sa visite, le vétérinaire va définir avec l'éleveur un protocole d'emploi des AINS. Et en cas de besoin, le praticien pourra utiliser un arsenal thérapeutique plus complet : morphine, alpha2-agonistes et anesthésiques locaux. Des médicaments à usage vétérinaire, que le praticien emploiera après avoir diagnostiqué l'animal et bien évalué sa souffrance.
NICOLAS LOUIS
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